C’était prévu depuis des mois. J’allais célébrer les 20 ans de Concerta Communications à Paris. Là où j’avais appris, tout au haut de la Tour Eiffel, qu’on avait obtenu notre premier mandat. Deux décennies plus tard, j’étais invitée à y donner ma première conférence européenne. J’allais revisiter l’histoire. Boucler une boucle. Jamais je n’aurais pu m’imaginer à quel point ce voyage déjà historique allait marquer mes souvenirs à jamais.
Vendredi 13 : solidarité connectée à l’aéroport
Tout débute par l’achat du billet d’avion. Hum, vendredi 13. Ça ne me dit rien qui vaille. Un drôle de pressentiment vite camouflé. Allez hop, on mettra un grigri dans nos valises, histoire de conjurer le mauvais sort.
Vers 17h, alors que je sirote une Tite’Kriss à la microbrasserie Archibald de l’aéroport, mon copain me texte : Fusillades à Paris. Ben voyons donc! Mes exclamations à voix haute alertent mes voisins de table. Aussitôt, une cellule de gestion de crise se met en branle. Jack Bauer peut aller se rhabiller. Chacun pianote sur son ordi, son iPad, son téléphone. Une dame alerte son contact à l’ambassade, sa sœur connaît un pilote, son mari contacte un ami, avocat en droit international. Un ingénieur qui s’en va dans le Grand Nord nous fait entendre le discours de Hollande : «Personne n’entre ou ne sort du pays.»
Puis, les cellulaires s’activent de partout. Comme un effet de vague ou de popcorn qui éclate. Facebook, Twitter, médias en ligne : tous sont en quête d’information. Car au comptoir d’Air Canada, personne. Personne pour répondre à nos questions. Pour rassurer cette femme âgée terrorisée qui ne veut plus aller à Paris. On apprendra plus tard que c’est le cas de la moitié de l’équipage. D’où l’absence au comptoir et, plus tard, les retards successifs.
Grâce à une amie spécialisée en voyage, Marie-Julie Gagnon, nous prenons contact avec Air Canada via Twitter. Qui nous offre l’option d’annuler ou de retarder notre vol sans frais. Une option que j’annonce aux voyageurs perplexes autour. Car le vol d’Air France a quitté avant l’annonce des attentats, mais celui d’Air Transat a été annulé. Quant au nôtre, on ne sait pas encore.
Plusieurs d’entre nous attendons des nouvelles d’amis à Paris. Lorsque l’un d’entre eux se déclare en sécurité via Facebook, soupirs de soulagement à la ronde. Rapidement, on voit le mot clic #PorteOuverte apparaître. Bel élan de solidarité.
Épuisée par l’incertitude, la mienne et celle de mes proches inquiets, je reporte mon vol. Récupère mes bagages de peine et de misère. Au moment de quitter, des centaines de gens attendent encore. Enfants épuisés, équipe d’Air Canada dépassée. Lorsque je me glisse enfin sous les draps, à minuit trente, un avis SMS m’informe que le départ est de nouveau (encore) reporté.
Je m’endors sur la réflexion suivante : autrefois, on apprenait tous l’information en même temps. Maintenant, l’information officieuse surgit avant «l’officielle». Informations spontanées qui circulent via les citoyens, échanges interconnectés, mais renseignements contradictoires. Tout le monde y va de son analyse, de son scénario. Chacun participe à l’arène médiatique. Et l’humain s’entraide dans les moments d’angoisse. Verglas numéro 2. Lorsque je reprends la direction de l’aéroport deux jours plus tard, chacun est revenu dans son «chacun pour soi» numérique. Terminée, la solidarité.
On ne se laisse pas terrasser : la terrasse devient symbole de résilience!
Arrivée à Paris, je suis épatée de voir les terrasses et les métros se remplir de nouveau. Résilience d’un pays chargé d’histoire qui en a vue d’autres. Les Jardins du Luxembourg, fermés pour quelques jours, ouvrent de nouveau leurs portes aux «étudiants qui rêvent qu’ils ont fini leurs études et aux professeurs qui rêvent qu’ils les recommencent». Au milieu des amoureux qui se bécotent sur les bancs publics et les joueurs de pétanque, je cours ma vie. Moment intense. Malgré tout, la plaie est ouverte. Je me demande ce que je peux faire pour aider à mettre un baume, tant qu’à avoir écrit sur les fêtes, cérémonies et rituels.
Le lendemain, au Meetup Content Strategy de Paris, je donne comme prévu ma conférence Identité de marque et rituels: comment réinventer votre discours?, en compagnie de Muriel Vandemeulen, de l’agence éditoriale We Are The Words. Quelques jours plus tard, alors que le radar policier se déplace vers Bruxelles, je prends tout de même le train pour aller y donner une seconde conférence avec Eric Yung Despic, qui officie là-bas à titre de «célébrant corporatif.»
À 2 heures du matin, alors que je loge chez une étudiante en communications via Airbnb, mes neurones frétillent. Je cherche comment témoigner un peu réconfort après les événements. J’interpelle mon copain sur Messenger. Pour lui, il est 20 h. On commence à brainstormer sur une idée, puis un concept visuel. Je dors un p’tit deux heures. Sur le chemin vers la gare dans un Bruxelles sous haute surveillance militaire, Éric, venu me reconduire, trouve une manière simple de faire vivre tout ça. Travail d’équipe.
Tu me touches en plein cœur
C’est donc sous le thème Tu me touches en plein cœur que s’organise une distribution de petits cœurs rouges Place de la République. Dans le Thalys, le TGV qui me ramène à Paris, je sonde mes proches via Facebook pour trouver des messages de réconfort. L’un des contrôleurs, au fait de notre initiative, m’apporte un café latte et propose d’en distribuer dans le train. Le lendemain, des étudiants, interpellés dans cafés, m’aident à découper les petits cœurs. De beaux jeunes allumés, ces Léa, Yoan, Tiphaine, Morgane, Roman, Tess et Jeanne.
Place de la République, ça pleure sous la pluie. Avec ma robe rouge et mon parapluie écarlate, je fais une Amélie Poulain de moi-même. Je donne mes petits cœurs en disant aux gens que nous, les Québécois, avons été touchés en plein cœur. Qu’on est de tout cœur avec eux. Je travaille en équipe avec Jérôme et Amori, des freehugers qui distribuent des câlins depuis lundi soir.
Les gens sont touchés, bouleversés. Bob Ramose, un Algérien, devient mon «fan numéro un». M’apporte du café chaud, tient mon parapluie, m’indique des gens qui semblent avoir besoin de réconfort. Bob m’indique qu’il continuera à distribuer des petits cœurs de retour en Algérie. Tout comme le fait Éric en Belgique.
Quel sera votre élan de solidarité spontané?
Cette expérience m’aura appris quelque chose : à l’ère des médias sociaux, un projet solidaire s’organise en une nuit. Avec de la foi, du travail et des complices. Il s’agit de manifester son désir et, surtout, de s’entourer d’une bonne équipe. Ensuite, ce sont les autres qui vous aident à poursuivre votre «mission».
Ensuite, il faut vaincre sa peur du perfectionnisme. C’est entre autres ce qui freinait mon enthousiasme solidaire. Et cette leçon, c’est un jeune homme allumé qui a assisté à ma conférence en Belgique qui me l’a donnée. Henry Debay m’a mise au défi d’enregistrer une entrevue «à chaud» après ma conférence. Sans me préparer d’avance, sans recherche, sans notes en appui, sans montage. Juste avec le cœur.
C’est tout ce que ça prend. En cette période des Fêtes où on a la fibre solidaire plus musclée, et si on multipliait les projets solidaires un peu partout? Et toute l’année? J’ai déjà une (autre) idée à vous proposer : écrivez-moi pour en savoir davantage. Et laissez votre «cœur» parler.